vendredi 5 juillet 2013

John Money, Pop et le principe de non contradiction




Quand on entend certains catholiques mettre en garde contre la "théorie du genre", on est tenté de se demander ce qu'ils en ont lu. Et quand ils donnent des exemples de ce qu'ils dénoncent, on se demande s'ils ont compris ce qu'ils ont lu.

L'étude parallèle de deux illustrations très souvent invoquées des "méfaits" de la "théorie du genre" permettra, dans ce billet, de montrer que le trouble n'est peut-être pas tant, pour le coup, dans le genre que dans l'esprit de certains des détracteurs les plus virulents des études de genre.

1er exemple: John Money

Avec Judith Butler, et même de plus en plus devant elle, John Money est l'un des épouvantails préférés des anti-genre, à la fois l'origine supposée de cette "idéologie" (une page facebook en fait leur "créateur"), l'illustration de ses terribles conséquences (une opération de réassignation sexuelle ratée, qui s'acheva en tragédie avec le suicide du patient) et la mise en lumière de ses sombres objectifs sur le long terme (la tentative de justification de la pédophilie dont il s'est effectivement rendu coupable). Voici ce que le Salon Beige écrivait déjà sur lui en 2006, et qui synthétise l'idée, aujourd'hui inchangée, que beaucoup de catholiques se font de ses liens avec les études de genre:

"On apprend la mort, le 7 juillet, du psychologue John Money. Peu connu en France, il a pourtant été la principale caution scientifique de l'idéologie du "genre", dont l'influence imprègne, via les lobbies féministes et "gay et trans", des textes d'institutions européennes. Pour faire court, cette idéologie prétend que la différenciation homme-femme est due plus à l'éducation qu'à la biologie - cet article de Jeanne Smits en dépeint les conséquences.
Le Dr Money (dont le nom pourrait être celui d'un méchant dans un film de James Bond, remarque le blog First Things) est une sorte de successeur du Dr Kinsey, le "père" de la révolution sexuelle : chez les deux, la rigueur scientifique et le respect du patient ont été cyniquement subordonnés à une idéologie mortifère." ("Dr John Money (et ses victimes), RIP" par Henri Vedas).

Nul doute que cette "principale caution scientifique de l'idéologie du "genre"" doit être idolâtrée par le "lobby LGBT" et les partisans de la remise en cause de la différenciation sexuelle homme/femme, au premier rang desquels le mouvement "transgenre"...

En fait, pas vraiment. Pas du tout, même:

"Pour une information plus complète sur tous ces sujets,  le lecteur pourra se référer au livre Man & Woman, Boy & Girl, de Money et Anke A. Ehrhardt, paru en 1972. Money s'intéressa au transexualisme, notamment en raison des recherches qu'il avait entreprises pour "corriger" ce qu'il considérait comme des malformations génitales chez des enfants transsexuels ou hermaphrodites. [...]
John Money croit fermement au dimorphisme de genre, à la polarisation entre les sexes et défend les définitions communément admises de la masculinité, la féminité et l'hétérosexualité. Même si Ehrhardt et lui ont intégré à  Man & Woman, Boy & Girl une étude anthropologique faisant état de différences importantes entre notions de genre  et conduite sexuelle appropriée chez les Batak de Sumatra, chez les Pilaga (un peuple mal connu de Mélanésie) et chez les Yolngu du nord-est d'Arnhem en Australie, Money est loin d'être un relativiste culturel. Le fait que d'autres cultures soient capables de tolérer un certain degré de comportement homosexuel (et même, dans certains cas, de considérer que cela fait partie de l'initiation d'un jeune homme à la vie adulte) ne le fait pas changer d'avis sur l'homosexualité: le comportement homosexuel est une paraphilie. Avoir appris l'existence, dans des sociétés plus "primitives" que la nôtre, de rôles de troisième genre pour des individus au genre ambigu, ne le trouble pas plus. Au lieu de se demander si notre culture ne serait pas pathologique, étant donné que nous ne pouvons pas accepter que la nature ait créé notre espèce en plus de deux genres, Money déforme ses propres découvertes médicales et parle sans cesse de la naissance tout à fait naturelle d'enfants hermaphrodites comme d'"erreurs de la Nature" [Money, p.6-7, 14, 19, 26 et 186].
Pour Money, comme pour Green, le médecin est l'élément clé dans la lutte de l'enfant pour une identité sexuelle. Il est en total désaccord avec les médecins qui disent aux parents d'un enfant ayant une ambiguïté génitale qu'ils devront vraisemblablement attendre l'adolescence pour connaitre son sexe. Au contraire, Green considère qu'il revient au médecin traitant de déterminer quel sexe assigner à l'enfant, l'expliquer aux parents et obtenir leur confiance et leur appui total pour élever leur enfant dans ce genre, et sans conflit. A maintes reprises, il prévient que si cette procédure n'est pas suivie, l'enfant deviendra transsexuel [Money, p. 13, 123, 128 et 159-161]. [...]
Money est surtout un moraliste qui se fait passer pour un scientifique; il s'en sort grâce à ses références médicales et sa production prolifique de publications pseudo-techniques sur la sexualité. En fait, ses prises de positions sur le sexe, le genre et le plaisir servent à étayer, par exemple, des lois contre la sodomie et pour l'enfermement psychiatrique de personnes qui "se font plaisir de diverses façons"." (Pat Califia, Le mouvement transgenre: changer de sexe, EPEL, 2003, p. 103-104 et 114).

 Bien loin d'illustrer par ses discours et ses actes une théorie de l'indifférenciation sexuelle, voire de l'interchangeabilité des genres, Money défend donc une polarité stricte entre masculin et féminin, se positionnant très fermement sur ce point du côté des partisans de la différence et de la complémentarité "naturelles" des sexes, et non de celui des LGBT, même si ses recherches sur l'hermaphrodisme et la transsexualité l'ont amené à théoriser la distinction entre genre et sexe. Et c'est précisément parce qu'il ne supportait pas tout ce qui pouvait sortir du modèle "H/F cisgenre hétérosexuel" qu'il s'est fait un avocat particulièrement extrémiste de la chirurgie de réassignation sexuelle. Dans le cas de David Reimer, il n'a pas imposé cette procédure pour relativiser la différence des sexes, mais au contraire pour la défendre, d'une manière particulièrement rigide il est vrai, parce que à ses yeux, un garçon sans pénis fonctionne ne pouvait être un "vrai" garçon:

"David Reimer naquit à Winnipeg dans le Manitoba ; il avait un vrai jumeau, Brian, et son nom alors était Bruce. Quand ils eurent six mois on s’inquiéta de voir que les deux garçons avaient des difficultés à uriner et on diagnostiqua un phimosis. Il fut donc décidé de les faire circoncire à l'âge de huit mois. On ne sait pas si des thérapies alternatives furent essayées. Le 27 avril 1966, le chirurgien Jean-Marie Huot et l'anesthésiste Max Cham pratiquèrent la circoncision à l'aide d'une machine à cautériser Bovie, alors que celle-ci n’était pas destinée à être utilisée sur les extrémités ni sur les organes génitaux. Le pénis de Bruce se retrouva irrémédiablement endommagé. On préféra alors ne pas faire circoncire Brian qui guérit fort bien sans traitement supplémentaire.
Les parents de Bruce, pensant à son bonheur futur et à sa vie sexuelle sans pénis, le conduisirent au Centre Médical Johns Hopkins à Baltimore pour soumettre son cas à John Money, un psychologue qui, dans le domaine du développement sexuel et de l'identité de genre, jouissait d’une réputation de pionnier fondée sur son travail avec des patients intersexués. Money était partisan de la théorie selon laquelle l'identité de genre est relativement plastique au cours de la première enfance et se développe essentiellement à la suite de l'apprentissage social qui la suit ; certains universitaires vers la fin des années 1960 croyaient que toutes les différences psychologiques et de comportement entre garçons et filles sont le résultat d’un apprentissage. Avec d'autres médecins qui travaillaient avec des petits enfants nés avec des organes sexuels anormaux, il croyait que, si un pénis ne peut pas être remplacé, un vagin fonctionnel peut être réalisé par une opération et que Bruce atteindrait mieux son épanouissement sexuel fonctionnel en tant que fille plutôt tant que garçon.
Ils persuadèrent ses parents qu'une réassignation sexuelle serait pour Bruce le plus profitable et, à l'âge de 22 mois, on lui enleva chirurgicalement les testicules. On l'éleva donc comme une fille et on lui donna le nom de « Brenda ». Le soutien psychologique après sa réassignation chirurgicale fut confié à John Money, qui continua à voir Brenda pendant plusieurs années, à la fois pour son traitement et pour écrire une étude. Cette réassignation était considérée comme un cas particulièrement intéressant pour tester le concept d'apprentissage social d'identité de genre et pour deux raisons. D'abord, Bruce/Brenda avait un frère jumeau, Brian, ce qui constituait un contrôle idéal puisque les deux enfants ne partageaient pas seulement leurs gènes et l'environnement familial, mais ils avaient également eu le même environnement intra-utérin. Ensuite, on se disait qu'il s'agissait de la première réassignation avec reconstruction exécutée sur un bébé garçon qui ne présentait aucune anomalie dans la différentiation sexuelle prénatale ou néo-natale." (Article Wikipédia "David Reimer").

Même si pour lui, l'identité sexuelle était fixée par l'apprentissage, il était à l'évidence un partisan convaincu d'une stricte différenciation des sexes (un garçon ne peut trouver son équilibre que dans la virilité, à l'inverse d'une fille, au "risque" sinon de devenir homosexuel et/ou trans), et est donc, non pas une "caution" de la lecture LGBT des études de genre, mais au contraire un de leur pires ennemis.

Comment donc s'est-il retrouvé propulsé par certains catholiques comme leur principale tête d'affiche? Manifestement parce que ceux-ci (qui ne sont pas tous les catholiques qui critiquent les études de genre mais une frange particulièrement active et alarmiste) se sont contentés de lire dans un article quelconque de vulgarisation qu'il fait partie des précurseurs des études de genre, qu'ils n'arrivent  à concevoir ces dernières que sous la forme d'un processus: critique de l'ancrage naturel de la différence des sexes > défense de leur "interchangeabilité" > transgenrisme > assignation d'un autre sexe ou asexuation forcées à des enfants par des "idéologues" LGBT. Et comme ils ont lu par ailleurs le récit de ses erreurs médicales et de sa défense de la pédophilie, et bien que son discours soit à l'opposé de celui qu'ils font tenir aux études de genre, ils ont imaginé un scénario complotiste qui n'a rien à voir ni avec les origines et le contenu des gender studies, ni avec les relations de John Money avec ces dernières, mais qui correspond avec ce qu'ils veulent entendre. Ce qui en dit long sur leur souci d'exactitude, leur sérieux et leur honnêteté intellectuelle. Ou leur cohérence, comme je vais le montrer à propos d'un autre de leurs épouvantails préférés.

2ème exemple: Pop

Qui est Pop? Pour certains catholiques, à l'évidence un martyr en devenir de la "théorie du genre":

"En Suède, où plusieurs crèches mettent en pratique la théorie du genre, un couple élève son enfant sans révéler son sexe.
Fille ou garçon? On ne sait toujours pas. En 2009, un couple de Suédois déclenchait une polémique en indiquant qu'il ne voulait pas révéler le sexe de son enfant de 2 ans. «Nous voulons que Pop grandisse librement, et non dans un moule d'un genre spécifique, ont raconté ses parents au quotidien Svenska Dagbladet. C'est cruel de mettre au monde un enfant avec un timbre bleu ou rose sur le front. Aussi longtemps que le genre de Pop restera neutre, il ne sera pas influencé par la façon dont les gens traitent les garçons ou les filles.»
Les deux parents, qui ont eu Pop à 21 ans, ont décidé de travailler à mi-temps, pour pouvoir s'occuper de lui, plutôt que de l'envoyer à l'école maternelle. L'enfant, décrit comme «confiant et stable», choisit lui-même ses habits. Parfois une robe, parfois un pantalon. Pour la coiffure, c'est également variable. «Pour moi, Pop n'est ni une fille ni un garçon, c'est seulement Pop», explique sa mère.(Le Figaro, "Pop, 6 ans, l'enfant suédois sans sexe").

Bien loin de constituer une application lointaine des thèses de John Money, ce fait divers illustre une prise de position complètement opposée sur la différenciation sexuelle. Pour John Money, une identité sexuelle aussi fixe et fermement établie que possible, ancrée de manière indissoluble dans la masculinité ou la féminité biologique, est la condition indispensable d'un développement harmonieux et d'une maturation sexuelle saine de l'enfant. Pour les parents de Pop, et nombre de suédois, un tel discours est au contraire stigmatisant et inutilement excluant pour tous les enfants qui n'ont pas le bonheur de correspondre exactement aux types classiques de la féminité et de la masculinité, dont je cite ci-dessous un témoignage saisissant:

"Quand je suis arrivée en fac, en vile de ma campagne perdue il y a très longtemps j’étais introvertie au possible, j’étais passe partout, j’étais invisible. Et puis j’ai fait des rencontres qui m’ont changée, j’ai été confrontée à moi-même et je me suis débarrassée en partie de ma timidité. J’ai changé ma façon de m’habiller pour être en adéquation avec moi-même. J’ai laissé tomber mes fringues d’homme et mes baskets pour passer à goth version indus, vinyl S/M, coupe Louise Brooks noir bleutée et mini-jupe. J’aimais ça, j’écoutais ça aussi (d’ailleurs aujourd’hui encore c’est ce que j’écoute, bref…)
C’est à ce moment-là que la perception des gens dans la rue a complétement changé à mon égard. Mon mètre 82 majoré par la hauteur de mes talons y a beaucoup contribué aussi. J’étais visible comme une guirlande qui clignote. Mais les réflexions auxquelles j’ai dû faire face n’avaient vraiment que très peu à voir avec le sexisme, mais avec la transphobie. Je pense que depuis toutes ces années je pourrai faire une compilation aussi épaisse qu’un dico des insultes que j’ai essuyées. Le summum étant les gens qui te poursuivent toute une soirée pour voir ta carte d’identité et voir ton vrai prénom. J’ai été virée de bars pour ça. Parce que au bout d’un moment (et j’ai de la patience pourtant) j’avais quand même des accès de violence devant tant de conneries.
Je ne compte plus le nombre de paris sur les chiottes que j’allais utiliser dans les restos, je ne compte plus les nuées des gens chuchotant sur mon passage pour savoir si j’ai une bite ou pas. Je ne compte plus le nombre de regards agressifs, haineux ou juste remplis de bêtise primaire que j’ai croisés. Dans le bus, dans le train, dans la rue, dans les bars, dans des soirées et même des gens que je pensais être des potes et qui se révélaient avec un coup dans le nez.
J’ai parfois répondu calmement, j’ai parfois répondu agressivement, j’ai traumatisé un groupe de jeune fille dans un fast food en leur faisant toucher mes seins (c’est complétement idiot mais j’étais super énervée, toute la journée j’y avais eu droit)… Je me suis aussi tu parce que beaucoup sont des cas désespérés (ou étaient plus baraqués que moi). Avec l’âge d’ailleurs je ne dis pratiquement plus rien, comme si j’avais totalement intégré, digéré la connerie humaine. Certains me diront que c’est bête de subir en silence mais je crois qu’au bout de toutes ces années finalement tu deviens fataliste. 
Aujourd’hui ça m’arrive moins, enfin disons que lors de mes sorties en couple les gens se taisent plus mais dès que je suis seule j’ai toujours droit à au moins un petit show… Mon plaisir maso c’est de marcher devant mon compagnon et ses fils, attendre la réflexion et buguer les gens quand je les rejoins. J’imagine sadiquement ce qui se passe dans leur tête et qui se lit dans leurs yeux que je regarde bien droit : merde ils sont ensemble, il a tout entendu, merde en plus ils ont des gosses, merde alors quoi, on s’est plantés ? c’est ELLE finalement, ou pas, je comprends plus du tout AU SECOURS…
La vérité ? je suis une femme hétéro cis, je suis née femme. Mais mon physique semble prêter à confusion. La vérité ? c’est que moi pour être ce que je suis je n’ai pas eu à subir des questionnaire de psy lourdingues, je n’ai pas eu à me battre avec l’administration pour changer mon putain d’état civil, j’ai pas eu à dire à ma famille que j’étais une femme ou un homme enfermé(e) dans le mauvais corps, j’ai pas eu à passer par des traitement lourds pour devenir ce que je suis, pour naitre à moi-même, je n’ai pas eu à me trimballer un sexe qui n’est pas le mien. Moi femme hétéro cis j’ai juste eut droit aux violences de la rue, à la transphobie ordinaire." (Marie Meier, "Transphobie, sexe, genre et connerie").

Au passage, ce discours sur l'indifférenciation sexuelle rappelle beaucoup celui des associations d'intersexués, dont la vocation principale est de combattre le discours qui fait de la chirurgie d'assignation sexuelle   la réponse obligatoire aux cas d'ambigüité sexuelle, discours dont John Money s'est fait l'un des avocats les plus véhéments. L'une de leur militante pionnière fut d'ailleurs l'une de ses anciennes patientes, révoltée par ses pratiques, Cheryl Chase:

"Fourvoyés par les théories de Money durant des décennies, la profession médicale a mutilé de manière irréversible des dizaines de milliers d'enfants intersexués. Pour une description de l'expérience traumatisante d'une personne intersexuée qui a été "corrigée" à la naissance et qui a grandi sans savoir ce qui s'est passé, consultez l'interview de Cheryl Chase dans "Between the Lines: coming to terms with children born intersexed, " by Victoria Tilney McDonough"
Cheryl a été directrice et fondatrice de la société des personnes intersexuées d'Amérique du Nord (ISNA), et un des leaders du mouvement qui s'est efforcé de mettre fin à la honte, au secret et aux opérations arbitraires infligées aux personnes dont les organes sexuels étaient considérés comme atypiques. ISNA s'efforce de faire comprendre que l'intersexualité n'a rien de honteux ni de monstrueux. Aux seuls Etats-Unis, cinq enfants subissent une intervention mutilante et totalement inutile chaque jour. ISNA exige des médecins qu'ils utilisent un modèle de traitement qui mette le patient au centre, plutôt que de privilégier leurs préjugés. Pour plus d'informations sur ces problèmes, référez-vous au documentaire de Discovery Channel "Is it a Boy or a Girl?", qui a été produit avec la participation d'ISNA." (Information TG/TS/IS de Base, par Lynn Conway).

En conclusion de cette brève étude comparée, je voudrais faire trois remarques:

1)  J'aimerai vraiment beaucoup qu'un de ces opposants virulents aux études de genre (qui ne représentent pas, encore une fois, la totalité de leurs critiques, y compris chez les catholiques) qui ne cessent de brandir "la vérité" sur le créateur des "études de genre", vienne m'expliquer comment ils arrivent à regrouper sous une même "théorie" un discours, celui de John Money, qui valorise de manière absolue le dimorphisme sexuel et assigne à la médecine le rôle de "corriger" tout ce qui pourrait s'en éloigner, les "erreurs de la Nature", et un autre discours, celui des transgenres, féministes, homosexuels et intersexués qui défendent une vision plus relative de ce dimorphisme, en vue de permettre une existence épanouie à ceux qui, pour des raisons biologiques ou autres, n'y trouvent pas complètement place, discours qui sont MUTUELLEMENT ET TOTALEMENT CONTRADICTOIRES, OPPOSES ET INCOMPATIBLES, mais que par un biais qui apparait surtout partisan et idéologiques, ils prétendent illustrer et dénoncer l'un par l'autre. Par exemple, dans les cas, certes très minoritaires, d'enfants qui naissent avec une ambigüité sexuelle, si les "corriger" par la chirurgie réassignatrice c'est mal parce que c'est John Money, la pédophilie, le suicide de David Reimer etc., et que les laisser dans l'indifférenciation c'est tout aussi mal parce que c'est le relativisme, la négation de la complémentarité "naturelle" des sexes et la "théorie du genre" qui mène au queer, qu'est-ce qui reste? L'avortement d'office ou l'euthanasie pour ceux dont l'ambigüité apparait après la naissance (#ohwait)? Ou alors on s'en fout, ils sont super minoritaires et c'est leur faute: ils n'avaient qu'à être normaux?

Ce qui m'amène à ma deuxième remarque...

2) Les opposants aux études de genre aiment bien dire qu'ils défendent "l'enfant", un enfant abstrait, idéalisé, qui s'épanouit naturellement dans une identité sexuelle fermement établie, et que l'influence des études de genre va déstabiliser. Mais cet enfant est-il si représentatif? Je ne pense pas seulement à l'extrême-minorité d'intersexués, ni aux homosexuels, ni aux personnes qui vivent une identité de genre différente de leur identité sexuelle biologique (les transgenres), mais tout simplement à tous ceux qui s'exposent quotidiennement aux sourires aux brimades et au mépris de leur entourage, car ils n'apparaissent pas typiques de leur sexe: les garçons trop timides, effacés ou efféminés, les filles "garçon manqué". Tous ces exemples sont ultra courants: nous en avons tous vu vivre l'enfer au collège ou en primaire: et c'est le discours traditionnel sur la différence des sexes qui est au fondement de leur souffrance, et non la "théorie du genre". Prenons donc peut-être un peu moins de temps à nous demander quels dégâts un discours qui remettrait en cause les fondements biologiques de la différence des sexes pourrait faire aux enfants, et un peu plus à observer ceux, parfois très graves, que les stéréotypes de genre font tous les jours à ceux-ci. Je pense qu'il y a de quoi faire.

3) Je dois cependant réfuter une critique très injuste qui est faite à ces militants contre les études de genre qui brandissent le spectre de John Money: on leur reproche souvent d'être figés dans une conception aristotélicienne de la nature. Alors qu'ils s'affranchissent allègrement d'un des principes premiers de la philosophie d'Aristote, le principe de non contradiction:

Le principe le plus solide de tous est celui à propos duquel il n'est pas possible de se tromper... Quel est ce principe ? Il est impossible que le même prédicat appartienne et n'appartienne pas en même temps à la même chose et sous le même rapport... Il est, en effet, impossible à quiconque de croire que le même à la fois est et n'est pas, comme certains s'imaginent qu'Héraclite l'a affirmé... Si donc il n'est pas possible que les contraires appartiennent en même temps à la même chose, et comme l'opinion contraire à une opinion est sa contradictoire, il est manifeste qu'il est impossible que le même homme pense simultanément que le même est et n'est pas." (Aristote, Métaphysique, Gamma, 3).