"[...] Les frontières territoriales doivent rester essentielles pour protéger l'identité d'un pays. Les flux doivent être régulés. On ne peut pas accueillir dans n'importe quelles conditions. Nous ne voulons pas d'une globalisation brouillonne qui gommerait les identités. Il faut accompagner les nouveaux venus sur le chemin de l'intégration culturelle et sociale, afin qu'ils puissent intérioriser et enrichir aussi l'identité du pays qui les accueille.[...]Autant j'applaudis cet appel à établir une "culture du dialogue" avec les musulmans, autant cet accent sur "l'identité chrétienne" me laisse un peu perplexe.
Par ailleurs l'altérité due à l'arrivée de personnes issues d'autres univers culturels interroge notre propre identité, et nous engage à nous réapproprier notre héritage national, marqué en Europe par ses racines judéo-chrétiennes.
Certains s'inquiètent d'une islamisation de la France, qui serait accélérée par la venue de ces nouveaux migrants. Tout en éradiquant les groupes islamistes fondamentalistes et le trafic d'êtres humains, il faut absolument mettre en oeuvre une culture du dialogue, qui favorise un modus vivendi avec les communautés d'origine musulmane. Il faut aussi déployer une démarche pastorale, qui conjugue accueil et annonce. Pour sortir ou de la confrontation belliqueuse, ou au contraire, de l'indifférence, nous nous devons comme chrétiens, de construire des liens humains de proximité et de solidarité pour que notre société ne devienne pas une nouvelle tour de Babel individualiste, fracturée entre communautés qui ne communiquent plus entre elles.
Face à cette peur de l'islamisation de l'Europe, je constate souvent un déficit d'identité des chrétiens, ils ne doivent pas craindre d'affirmer avec conviction le témoignage de leur foi en Jésus-Christ, même auprès des musulmans. C'est une leçon que j'ai retenue de mon séjour en Syrie." (passages graissés par moi)
Je ne suis pas sûr, en effet, d'arriver à me former une idée claire de ce qu'est cette identité, de pourquoi elle est menacée, et de ce que voudrait dire la "protéger".
Cette interrogation tombe un peu mal dans mon planning de lecture. J'avais envisagé d'approfondir (et de nuancer) ma réflexion personnelle sur l'identité, et notamment de me mettre sérieusement à la lecture des livres de Vincent Descombes, dont j'ai juste commencé, au début de l'été, Les Embarras de l'Identité (d'une part, ses textes semblent incontournables aujourd'hui sur cette question. D'autre part, à mon échelle très amateure, il me semble que certaines de mes prises de positions sont symétriquement opposées à certaines des siennes, toutes proportions évidemment gardées. Quitte à passer du temps à alimenter ce blog, autant en gagner en prenant préalablement connaissance des objections qu'on pourrait m'opposer). Du coup, je vais laisser provisoirement de côté les questions de l'identité collective et de l'identité nationale, le temps de m'en faire des notions plus précises, et me concentrer, provisoirement, sur celle d'identité chrétienne, en faisant semblant d'admettre que les notions d'identité religieuse, culturelle ou territoriale vont de soi.
En effet, si Monseigneur Rey évoque les thèmes de l'identité nationale ("l'identité du pays") et celle de l'Europe ("l'islamisation de l'Europe"), c'est bien dans l'appel à "affirmer avec conviction le témoignage de leur foi en Jésus-Christ" qu'il trouve le remède au "déficit d'identité des chrétiens", en posant une équivalence sémantique, implicite mais révélatrice, entre européens et chrétiens. C'est donc bien l'identité chrétienne qui est au coeur de sa réflexion, et de son inquiétude, et c'est donc elle que je vais discuter dans les paragraphes qui suivent.
Je me risque quand même à une rapide citation de Descombes, en priant ceux de mes lecteurs qui l'ont lu d'excuser d'éventuels contresens ou inexactitudes de ma part, et, le cas échéant, de me les indiquer en commentaire:
"Il se trouve qu’identité a remplacé caractère, personnalité… Il est plus vague, donc il a permis à ceux qui l’utilisent de développer un champ sémantique plus vaste, en y associant d’autres phénomènes, y compris la subjectivité et la première personne. Le caractère national est visible pour l’observateur.[...] Identité a été employé dans ce nouveau sens, car tout le monde sait ce que signifie se présenter devant les autres. « Veuillez vous présenter »… On décline son identité. Le mot s’est imposé car il renvoie à cette opération de la vie sociale où l’on se présente aux autres. Si l’on remonte à cette opération, on retrouve la logique du nom propre, que ce soit à l’échelle individuelle ou à l’échelle collective (la communauté à laquelle nous nous rattachons : tel hôpital, l’EHESS etc.). Le nom est chargé de toutes sortes de significations, car il y a une histoire collective. Si on dit identité, c’est pour renvoyer à ce moment de la présentation. On s’adresse aux autres. Si nous n’avions de débat qu’avec nous-mêmes, il n’y aurait pas de problème d’identité.[...]
Les sociétés se construisent selon des représentations, qui sont leurs propres productions. Je distingue donc avec Castoriadis deux sens du mot « imaginaire » : d’abord, irréel, au sens d’inexistant, et ensuite, imaginaire au sens d’instituant. L’imaginaire instituant n’est pas la re-production de quelque chose d’absent. Ce serait l’imaginaire trompeur (comme dans les promesses imaginaires). L’imaginaire instituant reprend des éléments de notre histoire en vue d’exprimer la représentation et la volonté collectives. Le « nous » d’une collectivité repose sur l’acte d’imagination, mais cela ne veut pas dire que cela soit une mystification. C’est une création humaine.[...]
Si on ne se contente pas de perpétuer la tradition sans y réfléchir, cela passe par un acte d’institution. Cela doit être un moment de l’imaginaire instituant. Qu’est-ce qui en résulte pour nous, individus citoyens ? C’est à chacun de se poser la question du critère. Dans les débats sur le communautarisme, demandons à chacun : quel critère pour l’entité collective que vous défendez ? A quelle condition est-elle légitime ? Le résultat de l’explication logique du concept d’identité peut être résumé par le mot de Quine : pas d’entité sans identité. Je dois avoir un critère d’identité pour savoir que je parle de la même chose que tout à l’heure. Par conséquent, l’identité collective que quelqu’un reconnaît est celle de l’entité collective dont il pose la réalité. Si des gens veulent une identité ethnique mais pas d’identité nationale, cela veut dire qu’ils croient à la réalité d’un groupe ethnique mais pas d’une nation. En revanche, si l’on croit que l’existence d’un corps politique est légitime, alors on pose la réalité de la nation au sens moderne, celle d’une communauté politique des citoyens. Auquel cas les identités communautaires ou religieuses ne peuvent être que subordonnées. C’est cet ordre des priorités qui est en question. On ne peut pas commencer à les discuter si on n’est pas conscient qu’à chaque fois, on applique un critère d’identité, celui qui permet de nommer le groupe auquel on se rattache." (Entretien avec Vincent Descombes, propos recueillis par Nicolas Rousseau, sur le site Actu Philosophia)
De ce que je comprends de cette présentation du concept d'identité, que je vais admettre pour les besoins de la présente démonstration, poser la question de l'identité chrétienne, de notre identité chrétienne, c'est s'interroger sur la manière dont notre représentation de ce qu'est être chrétien coîncide avec notre représentation de nous-mêmes. Cela pose la question de ce que nous considérons comme chrétien, et celle des extensions ou adaptation de cette représentation que nous estimons compatibles ou non avec cette identité.
Autrement dit, si cette question de l'identité chrétienne semble se poser avec tant d'acuité, c'est qu'elle a perdu de son évidence. Ou plutôt, il semble que la continuation de son institution est confrontée à un choix entre plusieurs représentations. En gros, soit l'accent est mis sur l'aspect territorial et "culturel" de cette identité ("les racines judéo-chrétiennes") et le risque est de relativiser les thèmes évangéliques de l'hospitalité envers l'étranger et de l'amour du prochain, "comme soi-même". Si au contraire c'est ce dernier aspect qui prime, la crainte de certains chrétiens occidentaux (que je ne partage pas du tout, mais je vais faire semblant de l'admettre pour les besoins du billet), dont visiblement Monseigneur Rey, est qu'il faille sacrifier à moyen terme les composantes géographique et culturelle de l'identité chrétienne. Dans le premier cas, il semble que "l'identité" chrétienne soit exposée à une trahison de ses racines évangéliques, dans le deuxième cas, qu'elle risque un amoindrissement de son extension sémantique et de son influence géopolitique et culturelle. En gardant à l'esprit que quelque soit le choix qui sera fait collectivement, il resserrera, précisera cette identité, qui ne sera donc plus tout à fait la même qu'aujourd'hui.
Monseigneur Rey semble penser que le risque principal qui pèse contre "l'identité" chrétienne réside dans "l'islamisation". Franchement, cela me parait absurde. Si dans les siècles passés, qui ont vu des vraies invasions, avec des occupants musulmans ou chrétiens imposant, parfois pendant des siècles, leurs lois et leurs coutumes à des populations occupées de l'autre religion, sans pour autant que l'identité, tant du christianisme que de l'islam, soit rendue méconnaissable, comment croire que cette identité chrétienne que des conditions politiques autrement plus rudes n'ont pu remettre en cause durablement serait aujourd'hui menacée en Europe, où elle reste largement majoritaire?
Ce qui est menacé en fait, c'est le caractère hégémonique de cette identité. A mesure qu'il devient de moins en moins évident que l'Europe est chrétienne, que les chrétiens doivent partager leur identité nationale ou européenne avec des ressortissants d'autres religions ou d'autres visions du monde, qu'ils doivent apprendre à distinguer entre leur identité territoriale et leur identité religieuse au lieu de les considérer comme une, beaucoup d'entre eux sont tentés de sauvegarder à tout prix cette hégémonie et l'équivalence jusqu'alors presque "naturelle" entre ces deux éléments de leur identité propre.
Et c'est dans certains choix qu'ils opèrent pour préserver cette représentations d'eux-mêmes et de leurs racines, qu'il y a à mon sens, paradoxalement, un vrai risque de dénaturation de l'"identité" chrétienne.
Tel que Monseigneur Rey s'exprime dans cet article, la défense de cette "identité chrétienne" qui est l'objet de son inquiétude, passe par un "témoignage de foi" visible en Jésus Christ. Je ne crois pas extrapoler en estimant qu'il inclut dans ce témoignage la condamnation de l'IVG, c'est-à-dire: "la défense de la vie dès la conception".
Je ne partage pas, pour être franc, cette condamnation de l'IVG, et ne la considère pas comme un aspect essentiel de l'identité chrétienne, c'est-à-dire la foi en Jésus Christ. Je m'en justifierai dans un autre billet. Mais, toujours pour les besoins de la démonstration, je vais faire semblant de l'admettre.
Donc, quand on condamne l'IVG absolument, de manière "non négociable" on demande aux femmes (cis et aux hommes trans, mais passons) enceint(e)s, d'"accueillir la vie". Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
On demande à ces personnes d'accueillir, non pas seulement dans leur maison mais dans leur corps, un organisme étranger, qui durant neuf mois, va influer sur leur santé et leur comportement, les immobiliser progressivement, les obliger à renoncer temporairement à leur travail éventuel et leurs loisirs, leur imposer des contraintes alimentaires, et, parfois, mettre en danger leur vie.
Une fois la naissance menée à terme, elles vont devoir consacrer une part très importante de leur temps libre et de leur argent, sur plusieurs décennies, à nourrir, éduquer, habiller, ce nouvel occupant de leur lieu de vie. Elles auront droit aux nuits blanches, à l'angoisse récurrentes, au "double travail" etc.
Autant dire que, même si évidemment de nombreux parents (mais pas tous) trouvent de la joie et même une vie plus heureuse dans leur nouvelle vie, quand on demande à une femme (ou un homme) qui ne désire pas d'enfant et qui se retrouve enceint(e) par accident, d'"accueillir la vie", on lui demande un ENORME sacrifice, sur plusieurs décennies.
J'entends d'autre part certains catholiques très attachés à "l'identité chrétienne" au sens où l'entend Monseigneur Rey, et à "la défense de la vie dès sa conception" (pas tous cela dit, loin de là et heureusement), répondre à ceux qui leur demandent de se prononcer en faveur de procédures d'accueil plus souples des migrants: "on ne peut pas tout accueillir, il y a des limites, qu'est-ce que vous diriez si quelqu'un s'installait chez vous sans que vous l'ayez voulu, mange votre nourriture, dorme sous votre toit, etc.?", avec l'assurance tranquille de ceux qui sont certains d'énoncer des évidences. Et de partager sur les réseaux sociaux telle rumeur de jour, lue sur FdeSouche ou Médias Presse Info, soupçonnant les migrants des plus noirs desseins et des pires mensonges.
Et pourtant, ce qu'ils trouvent normal de refuser, est un effort à peine aussi élevé, et sans doute souvent moindre, que celui qu'ils trouvent tout naturel de demander aux femmes (ou aux hommes) enceint(e)s.
Quelques objections prévisibles:
Dans le cas de l'avortement, on est sûr de prendre une vie. Mais si toutes les tentatives de passage des frontières ne mènent pas à des décès, on sait qu'il y en a régulièrement. Et qu'ils sont en partie dus au désespoir de personnes qui ne peuvent continuer à faire vivre leur famille en restant dans leur pays d'origine, qui sont sûres de se faire refouler aux frontières, et qui sont conduites à des tentatives désespérées. Donc, on est tout aussi certain, que notre politique migratoire prend régulièrement des vies. Inversement, autant la vie d'une personne consciente qui se noie à une valeur évidente, autant on peut s'interroger (je dis s'interroger, pas trancher) sur ce que signifie être vivant, au moins dans ses premières semaines d'existence, pour un embryon dont le système nerveux est encore en cours de formation. Quoiqu'on en pense cela-dit, il n'est aucunement évident de soutenir que s'opposer à l'accueil des migrants est moins grave qu'avorter. Au contraire, en fait.
Être parent accomplit la vie conjugale, dans le don de la vie. Mais en quoi l'accueil de l'étranger accomplirait moins "l'identité chrétienne"? Le Christ demande à un disciple potentiel: "quitte tout ce que tu as et suis-moi". Même à supposer, ce qui me parait très loin d'être évident, que nous ayons à perdre quoi que ce soit à ouvrir davantage les frontières, on est en plein dans l'accomplissement radical, évangélique, de "l'identité" chrétienne, et non dans son "déficit" ou dans son "déracinement", en y consentant.
Dans le cas d'une naissance, ce n'est pas une nouvelle culture qu'on accueille. Et pourtant, dans bien des familles, y compris catholiques, l'expérience montre qu'un enfant construit son propre point de vue, au fil de ses relations avec ses parents, de ce qu'il lit, des échanges qu'il a à l'école, et que même les valeurs les mieux établies de la famille la plus traditionnelle peuvent être ébranlées de fond en comble par un rejeton un peu curieux ou un peu rebelle. Sans compter que le fait même de devenir parent transforme souvent de fond en comble la vie quotidienne et la perspective des intéressés, de façon beaucoup plus profonde et radicale que la transformation hypothétiquement opérée au sein d'un pays par tel ou tel flux migratoire important.
Ce n'est pas la même chose de s'engager en personne et de s'engager collectivement. Marion-Maréchal Le Pen déclarait, dans un entretien accordé à Boulevard Voltaire:
"Il ne faut pas confondre charité individuelle à laquelle l’histoire du bon Samaritain fait écho et la charité politique. La France n’est pas une personne, c’est un pays."
Je suis tout à fait d'accord avec cette formule, sinon avec sa signification. L'effort demandé à une personne enceinte est BEAUCOUP PLUS important, tant en intensité qu'en extension temporelle, que celui qui est consenti par chaque individu, à l'échelle d'un pays qui assouplit ses procédures d'immigration face à une crise humanitaire: il n' y a pas l'équivalent d'un réfugié par foyers, les pouvoirs publics et diverses associations apportent leurs ressources et leur organisation, etc. La personne enceinte est seule, avec ses proches, si proches il y a, face à ses nouvelles charges et responsabilités.
Enfin, et on touche au coeur de ce que je considère, moi, comme une menace pour "l'identité chrétienne", certains répondront que dans le catéchisme de l'Eglise catholique, l'avortement est condamné absolument alors que l'accueil des flux migratoires souffre des exceptions:
"Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent.
Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont ils ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à
diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu
de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges." (CEC 2241)
Au lieu de considérer des situations d'après un certains nombre de principes qui seraient constitutifs de l'identité chrétienne, on finit par jouer abstraitement les principes contre les situations. La loi (la doctrine de l'Eglise) n'est plus discernée en fonction des situations et de l'appel toujours individuel et particulier que le Christ nous adresse au travers de notre prochain, mais semble trop souvent récitée, avec une attention toute particulière sur les non dits, les formulations littérales et les "vides juridiques". Ce n'est pas un signe de bonne santé "identitaire", si je puis me permettre. Les principes existent en vue, et au nom, de problèmes concrets. "L'IVG", "le bien commun", "l'exercice du droit d'immigration" sont des mots, qui n'ont de valeur que parce qu'ils représentent. Si les chrétiens estiment, au nom de l'enseignement de l'Eglise, que la préservation de "la vie, dès sa conception" autorise, et même impose, tous les sacrifices, alors quand d'autres vies sont menacées, comment certains d'entre eux peuvent-ils dire que la charge demandée pour sauvegarder ces vies est trop lourde? Et si, en conscience, ils trouvent que le sacrifice que selon eux, représenterait une plus grande ouverture des frontières, est au dessus de leur force, comment peuvent-ils exiger d'autrui, confronté au sacrifice, au moins aussi important, de décennies de vie, une force infinie? Les composantes de l'identité chrétienne qu'ils défendent, nationaliste ("les racines chrétiennes de la France") et hostiles à l'Islam d'une part, et "pro-vie" d'autre part, se contredisent dans les faits, et, s'ils tiennent véritablement à la cohérence de cette "identité chrétienne", il va bien falloir choisir, entre la nostalgie de l'hégémonie perdue, qui insiste sur le tracé des frontières, et la défense inconditionnelle de la vie, qui fait de la préservation de celle de son prochain un impératif inconditionnel, jusqu'à l'anéantissement de son identité propre sur la croix. Voilà deux composantes de l'identité chrétienne qui paraissait jusqu'à maintenant pour beaucoup indissociables, et qui aujourd'hui s'affrontent, jusqu'à menacer de la disloquer. Que chacun discerne laquelle de ces deux composantes est au coeur de sa foi.Vouloir tenir les deux contre la marche du monde ne peut que vider cette dernière de son sens.
Mais en attendant, si condamner inconditionnellement l'avortement, et donc demander à toute personne enceinte de sacrifier des années de sa vie, y compris contre son gré, au nom de la vie à naître, quelles que soient son désir d'enfanter, ses moyens matériels ou la sécurité de sa situation sociale, est pour tel ou tel d'entre nous une composante indissociable de l'identité chrétienne, qu'il respecte suffisamment ces personnes à qui ils fait des demandes si lourdes, pour accepter lui-même tous les sacrifices et tous les risques quand la vie d'autrui, y compris de l'immigré, y compris de l'immigré musulman est en danger. On ne peut pas accueillir tout le monde? Eh bien si, on peut. La question est plutôt celle des sacrifices auxquels on est disposé à consentir ou non pour la vie d'autrui. Et si cela lui parait trop lourd, ou trop risqué, alors que des gens meurent régulièrement de ne pas être accueillis et d'essayer quand même de donner la sécurité et un futur à leur famille, qu'il se demande si ce que l'Eglise exige des femmes en matière de morale et de devoir familial, depuis des siècles, ne devrait pas aussi avoir ses limites.
Lier comme le font certains catholiques, lutte contre l'immigration au nom de la lutte contre l'"islamisation", et lutte contre l'IVG au nom de la vie, ne révèle que trop, en l'état, qu'ils ne considèrent leur prochain que comme un obstacle potentiel à leur besoin de sécurité culturelle, qu'il s'agisse de la femme qui refuse sa destination traditionnelle de mère, ou de l'étranger qui refuse sa destination traditionnelle de futur converti. Mais on ne peut prétendre aimer son prochain, à mon sens, sans être curieux de ce que sa vie, individuelle, a à nous apprendre en quoi elle peut nous ébranler ou nous grandir, ou mettre en question nos principes les plus profondément ancrés, et sans être prêt à se mettre en danger pour elle. Sans cela, "l'identité chrétienne" est une notion totalement dépourvue de sens à mes yeux.