Or donc, Monseigneur Charamsa, prêtre polonais, Monsignore (et non évêque), théologien, membre de la Congrégation pour la doctrine de la foi et secrétaire adjoint de la Commission théologique internationale, a choisi, à la veille du synode sur la famille, de faire son coming out:
"Le père Krysztof Olaf Charamsa, 43 ans, membre de la Congrégation pour la doctrine de la foi (l’ex-Saint-Office, organisme romain chargé de veiller à la cohérence de la doctrine), a révélé être homosexuel et avoir un compagnon, samedi 3 octobre, afin que, sans « attendre encore cinquante ans », « l’Eglise ouvre les yeux face aux gays croyants et comprenne que la solution qu’elle propose, à savoir l’abstinence totale et une vie sans amour, n’est pas humaine »." (Le Monde, "le coming out d'un prêtre polonais provoque la colère du Vatican")Cette intervention a presque été immédiatement condamnée par le porte-parole du pape, le père Lombardi s.j.:
"Le Vatican n’a pas tardé à sanctionner l’homme d’Eglise, jugeant ce coming out« très grave et irresponsable » à la veille de l’ouverture du synode. « Evidemment, Mgr Charamsa ne pourra plus continuer à assurer ses fonctions précédentes auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi », ajoute le Vatican dans un communiqué. L’Eglise catholique précise que son statut de prêtre, qu’il pourra difficilement conserver après avoir reconnu vivre en couple avec son partenaire, sera discuté par les supérieurs hiérarchiques de son diocèse." (idem)
Quelques remarques à chaud de ma part, qui sont essentiellement une compilation de tweets et de statuts facebook publiés aujourd'hui (je sais, je vous fait perdre des minutes de votre vie que vous ne récupérerez plus jamais à lire deux fois la même chose. Je suis maléfique, mais à force de me lire, vous devriez le savoir):
- Objectivement, il a pris un risque (j'espère) assumé en mettant le Vatican dos au mur, et politiquement, Lombardi et le pape n'ont guère le choix, s'ils ne veulent pas complètement faire dérailler les débats du synode et radicaliser la frange conservatrice. A moyen terme, ce coming out peut libérer la parole des prêtres homosexuels et avoir des des conséquences bénéfiques, mais compte tenu de l'enjeu immédiat du synode, la colère de Lombardi peut se comprendre. Il est possible que ce coming out fragilise la position du pape face à ses critiques traditionnalistes. Mais le coup est joué et on verra bien.
- J'exprime cette inquiétude tout en étant conscient que je parle en tant que laïc hétérosexuel, citoyen d'un pays relativement ouvert au fait de l'homosexualité, observateur distant de la vie institutionnelle de l'Eglise, à propos de la vie d'un prêtre homosexuel, ressortissant d'un pays très conservateur sur les questions religieuses et de moeurs, qui est au coeur des coulisses vaticanes et qui vient de décider, avec un courage indiscutable, de sacrifier sa notoriété académique, son statut ecclésial et sa profession au nom de ce qu'il croit juste. Autant dire que je ne suis pas dans le registre de la condamnation ferme.
- Je note par ailleurs que son choix semble largement motivé par la situation intérieure de l'Eglise polonaise, dont je m'étais, de manière il est vrai béotienne, inquiété dans mes deux blogs: ici, et là.
- J'espère au moins qu'on ne fera pas grief à un théologien important de la congrégation pour la doctrine de la foi de ne "pas avoir compris" l'enseignement si subtil et secrètement merveilleux de l'Eglise sur l'homosexualité.
- Je note que certains insistent sur l'idée que son renvoi serait dû à la rupture de son célibat sacerdotal, sans réel rapport avec son homosexualité. Sans nier que sa rupture de célibat consacré constitue formellement au regard de l'Eglise une faute, ce n'est pas vraiment ce qui ressort selon moi de la déclaration du Père Lombardi, mais je m'en voudrais trop de montrer les éléments de langage pour ce qu'ils sont. Parce que bien sûr, s'il a jugée "grave et irresponsable" cette déclaration à la veille du Synode, c'est à cause du célibat des prêtres qui n'est pas à l'ordre du jour de ce synode. Mais après tout, la "Vérité" TM , ça ne sert qu'à dénoncer le "relativisme moral"...
- Sur le rapport célibat sacerdotal/ homosexualité: se pose à mon avis la question de la différence des vocations, selon qu'on soit hétérosexuel ou homosexuels, reconnues comme possibles par l'Eglise: quand le seul choix canoniquement possible est celui du célibat , le choix de la continence dans le célibat a-t-il le même sens pour un séminariste ou un novice homosexuel que pour un autre hétérosexuel ? Et peut-on, quand on est un catholique respectueux du magistère et sans balayer devant sa propre porte, faire grief à quelqu'un de ne pas avoir assumé jusqu'au bout un choix qui lui a été presenté comme le seul viable:, celui, au delà du sacerdoce, du célibat dans la continence ? Ce prêtre a tenté de joué le jeu des possibilités autorisées par l'Eglise pour vivre une vie de foi sainte. La réalité en a jugé autrement. L'essentiel de la remise en question ne devrait pas à mon sens lui incomber. Et il me paraît donc malaisé de soutenir que le non respect du célibat n'a dans cette affaire aucun rapport avec l'homosexualité du prêtre concerné, et, surtout, avec le regard de l'Eglise sur l'homosexualité, qu'en tant que théologien il connait bien..
- Cette question de la rupture du célibat sacerdotal, dans ce contexte de coming out homosexuel, ne renvoie pas seulement au discernement vocationnel, mais également à des questions de théologie morale. Dans la grâce ( mariage ou sacerdoce) comme dans le péché (rupture d'un engagement en principe définitif et pris en connaissance de cause), homos et hétéros semblent être soumis, dans le discours de l'Eglise et des fidèles, à des régimes différents. Je ne crois pas contraire à l'Evangile de considérer que le péché (en l'occurrence la rupture d'un célibat sacerdotal) n'annule pas la valeur d'un témoignage qui engage une vie toute entière. Le message est brouillé, c'est dommage, mais il s'agit là encore, et comme toujours, de séparer le bon grain de l'ivraie, dans la vie des "pécheurs" comme dans celle des présumés "justes". Et il me semble voir beaucoup de bon grain dans son témoignage .
- Quoiqu'il en soit, et si je comprends que des catholiques espérant du synode plus d'ouverture envers les relations homosexuels puissent être inquiets des retombées politiques et ecclésiales de ce coup d'éclat, il peut aussi contribuer à libérer la parole d'autres prêtres homosexuels vis à vis de leur hiérarchie. Un peu à la manière -pardon pour la comparaison- dont le coming out de personnalités américaines a largement contribué à normaliser l'homosexualité dans l'espace public américain. Puisque le coup est joué, et quelles que soient nos objections au for interne, faisons tout, ensemble, pour qu'il porte le plus de fruit possible.
- Et espérons, suivant une expression en vogue ces dernières semaines dans les milieux catholiques, que "ça ira mieux demain"!
AMHA, plusieurs plans sont à distinguer dans cette histoire... 1/2
RépondreSupprimerLe plan de l'opportunité ecclésiale.
La porte s'est refermée dans les Lineamenta sur le sort des homosexuels dans l'Eglise.
Ecoute, compassion, miséricorde : oui mais pourquoi plus pour les homos que pour les hétéros ? Pourquoi penser la pastorale des homos cathos dans ces termes-là et penser la pastorale des hétéros cathos dans d'autres termes ? L'implicite est là et comme implicite, il est extrêmement nocif : le rejet de l'homosexualité est un préalable à un chemin vers Dieu. Il me semble que si Dieu ne voulait pas 'se salir les mains' avec l'impureté des hommes - quelle qu'elle soit -, on le saurait... depuis le temps ! Jésus a-t-il eu besoin d'un préalable de sainteté pour s'incarner et cheminer auprès des hommes ? A-t-il exigé de Zachée, de Marie-Madeleine, un préalable de sainteté ? Oui : rien d'autre qu'un désir de l'approcher. Le chemin de conversion vient après, nécessairement puisqu'il ne peut se faire qu'au contact du Sauveur, avec la force de son Esprit !
Quel fruit peut donc produire une telle déclaration ? Sur le plan de l'opportunité : la garantie de faire le buzz mais à un drôle de moment et d'une drôle de façon, puisque sont ici mêlées la question du vœu de célibat, de l'invitation à la chasteté pour les homosexuels et du discernement vocationnel.
Le plan de l'autorité sacerdotale et apostolique
L'évêque est dépositaire de la plénitude du sacerdoce, il en délègue un partie au prêtre et une partie au diacre. Il me semble que c'est donc à l'évêque responsable de cette délégation de se prononcer sur les déclarations et la vie de ce prêtre. C'est leur relation qui a été modifiée par cette double vie et par son exposition.
Le silence de l'évêque délégataire (je ne sais pas de qui il s'agit en Pologne) est ici à entendre. Entendre... et pas encore à interpréter.
Tout autre interlocuteur ne vient qu'en communication 'mondaine' et politique, surtout pour pointer des sanctions.
Le plan de l'application canonique
Les prêtres ne font pas vœu de chasteté mais de célibat et d'obéissance. Il semble dans ce cas, qu'au moins un de ces vœux a été rompu directement. Y a-t-il des sanctions canoniques prévues dans un tel cas ? Par qui ? L'évêque ? Le Directoire pour le Ministère et la Vie des Prêtres de la Congrégation pour le Clergé du Vatican ? Je ne sais pas et donc je ne développe pas davantage.
AMHA, plusieurs plans sont à distinguer dans cette histoire... 2/2
RépondreSupprimerLe plan de la doctrine morale de l'Eglise
Le dernier point est central à mon sens et me rend extrêmement pessimiste sur une évolution du sort doctrinal des homosexuels dans l'Eglise - sort doctrinal seulement parce qu'en pastorale, il y a encore pas mal d'évolutions possibles !
Toute l'anthropologie judéo-chrétienne, repose sur la fertilité biologique du couple hétérosexuel. C'est à partir de là, que se construit la théologie du couple (saint-Paul en a été le créateur, à la différence de Jésus qui ne s'est jamais intéressé au couple ni au couple parental), la sacramentelle du mariage religieux (le lien avec la vie de Jésus est l'un des plus indirect des 7 sacrements : présence aux noces de Cana !) et la morale sexuelle.
Or, il faut pouvoir le penser et le dire, y compris avec souffrance : le couple homosexuel, par lui-même, est biologiquement infécond. C'est pourquoi l'Eglise invite les couples homosexuels à la chasteté, puisque leur sexualité est inféconde. Or, cette infécondité est un donné biologique mais non anthropologique. Et c'est précisément là, qu'à mon avis, le problème réside. Je relève ici, une différence de traitement : d'un côté l'Eglise est tout à fait capable d'élargir la fécondité biologique à la fécondité spirituelle, quand il s'agit pour elle de penser la vie religieuse ou sacerdotale, mais elle refuse de le faire et réduit systématiquement la fécondité spirituelle à la fécondité biologique, quand il s'agit d'envisager celle d'un couple ou d'une personne homosexuelle.
L'obstacle à lever est donc bien au-delà des éléments de pastorale et d'accueil des personnes homosexuelles. Il s'agit, pour l'Eglise, de repenser les différents sens de la fécondité, biologique, humaine et spirituelle et donc, de refonder son anthropologie.
Alors une telle déclaration à la veille d'un synode ? Espérons qu'il pourra en sortir un bien pour l'Eglise, pour quelques prêtres, pour quelques fidèles et infidèles.
Mais il s'agit bien là de poser un vrai acte d'Espérance !
"à la différence de Jésus qui ne s'est jamais intéressé au couple"
SupprimerOuille, il n'a pas donné son avis sur le divorce tel qu'il était pratiqué selon les Ecritures ? Comme cela en passant. Il vous faudrait lire relire les Evangiles.
Je laisse votre raisonnement global intact, mais ce point d'argumentation sur une différence Paul/Jésus me semble extrêmement hasardeux. D'autre types d'arguments auraient pu tenir sur d'autres sujets, mais sur la concrétisation de l'amour et la fidélité à son serment, pas vraiment.
Merci pour ces commentaires comme toujours très éclairants! :-)
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