mercredi 24 octobre 2012

La comparaison entre l'action des Pussy Riot et celle de Génération Identitaire

Suite à l'occupation en fin de semaine dernière du chantier de la future mosquée de Poitiers par des militants de Génération Identitaire, et aux condamnations de cette action qui n'ont pas manqué de suivre, la réponse des identitaires n'a pas tardée. Parmi divers arguments très classiques de la part de ce type de mouvements, un a plus particulièrement attiré mon regard:

"- La véritable provocation c’est de soutenir les Pussy Riot en Russie et de maudire Génération Identitaire en France."
Petit rappel sur l'affaire des Pussy Riot:

"Trois jeunes femmes de ce groupe sont placées en détention provisoire en mars 2012 pour avoir, selon la justice russe, profané l'autel de la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou le 21 février 2012, en exécutant, encagoulées, avec guitares et sonorisation, un « Te Deum punk » particulièrement iconoclaste, intitulé Marie mère de Dieu — chasse Poutine !. Les paroles de la chanson sont entre autres « Sainte Marie mère de Dieu, deviens féministe », « merde, merde, merde du Seigneur », « la Gay Pride est envoyée en Sibérie » et « chasse Poutine »." (source: fiche Wikipedia : "Pussy Riot")
Les trois femmes sont condamnées à deux ans de camps  le 17 août 2012, pour "hooliganisme. L'une d'elle a vu récemment sa peine commuée en sursis et a été remise en liberté.

Telle que je lis cette comparaison de Génération Identitaire, elle s'appuie sur les éléments suivants:

- Les deux actions consistent en une occupation sans violence d'un édifice religieux, celui occupé par GI non encore consacré (je ne sais pas si cette expression a un sens dans l'Islam), contrairement à l'Eglise investie par les Pussy Riot.

- Les deux actions sont à finalité politique, et se veulent des opérations de communication, plus que des profanations à proprement parler.

- Les deux actions font un tollé chez les médias, les responsables politiques et religieux du pays où elles ont lieu.

- Les deux actions ont eu des conséquences policières et judiciaires.

- Pourtant les mêmes médias et hommes politiques (souvent "de gauche") qui ont soutenu en France les Pussy Riot, condamnent l'opération de Génération Identitaire. Il y aurait donc, suivant la logique de ce mouvement et de ses sympathisants, "deux poids deux mesures", suivant qu'une attitude soit celle d'un gouvernement "droit de l'hommiste" ou non, suivant que l'on s'attaque au christianisme ou à l'islam.

Pour ma part, cette comparaison me parait fallacieuse, c'est-à-dire que sous l'apparence de la logique, elle compare deux évènements incomparables. 

En effet:

- Ce qui est le plus souvent reproché à la justice russe, dans l'affaire des Pussy Riot, ce n'est pas de les avoir poursuivis pour avoir causé un désordre à l'ordre public, mais la disproportion de la peine: deux ans de camp pour des dommages causés très symboliques et mineurs. Alors que les mesures de contrôle judiciaire prises contre les militants de Génération Identitaire apparaissent à ce jour très ordinaires et banales, pour une action qui était de fait tout aussi illégale que celle des Pussy Riot, et cela quoiqu'ils en disent

- Si les partisans de Génération Identitaire ont beau jeu de souligner que dans les deux cas il s'agirait de faire entrave à la liberté d'expression, quand elle a le malheur de déplaire à la majorité politique au pouvoir, l'examen des deux affaires permet de fortement nuancer cette similitude apparente.

Dans le cas des Pussy Riot, leur position face à cette revendication de la liberté d'expression est offensive, et ouverte. Il s'agit, dans un pays où la transition vers la démocratie, 21 ans après la fin de l'URSS, n'est toujours pas faite, où les gouvernants en place usent de subterfuges pour contourner les garde fous mis en place afin de conserver le pouvoir le plus longtemps possible et de la manière la moins partagée possible, de faire résonner, par un coup d'éclat, des voix discordantes qui semblent ne pas arriver à percer dans les médias par des méthodes plus traditionnelles. Je ne justifie pas la méthode choisie en particulier par les Pussy Riot, et je la désapprouve sur le principe. Et je ne suis pas non plus en accord avec le contenu de toutes leurs revendications. Mais il me semble important de souligner que leur coup d'éclat ne visait pas à priver quiconque de sa liberté d'expression, mais à faire prendre conscience des limites qu'elles sentent imposées de fait, à la leur propre. Elles n'ont pas manifesté pour faire taire les chrétiens ou interdire le culte orthodoxe, mais pour se faire entendre en tant que minorité politique, même si on peut condamner leurs méthodes. 

Dans celui de Génération Identitaire, leur liberté d'expression est conçue comme défensive et exclusive. Il ne s'agit pas seulement de se faire entendre , ou de faire valoir leur droit à dire leur opinion. Mais d'appeler à des restrictions de cette même liberté d'expression et d'opinion pour les musulmans:

"Nous ne voulons plus d’immigration extra-européenne ni de nouvelle construction de mosquée sur le sol français. Depuis les premières vagues d’immigration africaine et le regroupement familial adopté en 1974, notre peuple n’a jamais été consulté sur les populations avec lesquelles on lui impose de vivre. L’immigration massive transforme radicalement notre pays : selon la dernière étude de l’INSEE, 43% des 18-50 ans d’Ile de France sont issus de l’immigration. Un peuple peut se relever d’une crise économique ou d’une guerre mais pas du remplacement de sa population : sans Français, la France n’existe plus. C’est une question de survie : c’est pourquoi chaque peuple a le droit absolu de choisir s’il souhaite accueillir des étrangers et en quelle proportion.

Puisque ce droit nous a été refusé et que notre génération en paie le prix fort dans la rue face aux intimidations de la racaille, nous disons : ça suffit, on ne recule plus ! Nous réclamons la mise en place d’un référendum national sur l’immigration et la construction de lieux de culte musulmans en France. Nous ne quitterons pas les lieux avant d’avoir été entendus et satisfaits." (Communiqué du 20 octobre 2012)
Les Pussy Riot ont certes agi avec une désinvolture condamnable vis à vis des sentiments des chrétiens orthodoxes, mais elles n'ont pas appelé à entraver leur liberté de culte. Elles ont demandé plus de liberté pour elles-mêmes et celles et ceux qu'elles estiment représenter. La finalité de l'action de Génération Identitaire, est d'entraver la liberté de culte des musulmans (peutêtre pas de manière explicite, mais qui dit moins de mosquées, dit des conditions de culte plus difficiles). Dans le cas des Pussy Riot, la provocation à connotation religieuse était un moyen, certes contestable, pour une fin qui est plus de liberté d'expression. Dans le cas de Génération Identitaire, l'invocation de la liberté d'expression est un moyen, et la fin la provocation à connotation religieuse, qui va dans le sens d'imposer des restrictions de leur liberté de culte aux musulmans.

- En définitive, l'action des Pussy Riot, aussi contestable qu'elle soit dans sa méthode, apparait en faveur d'une plus grande liberté d'expression pour tous. Et celle de Génération Identitaire, si elle ne mériterait certainement pas en elle-même deux ans de privation de liberté (et si je ne suis pas personnellement favorable, pour ce que j'en connais, à l'interdiction de ce groupuscule) apparait au contraire en faveur de restriction de la liberté d'expression de certaines catégories de français (beaucoup de musulmans ont la nationalité française).

C'est pourquoi non seulement condamner Génération Identitaire tout en soutenant les Pussy Riot n'a rien de contradictoire en soi, mais les camps qui les soutiennent respectivement le font pour des raisons de fond qui apparaissent difficilement compatibles (j'ai conscience cela dit que de nombreuses personnes condamnent les Pussy Riot sans avoir la moindre sympathie pour les identitaires, ni de près ni de loin, mais ce billet n'a pas pour but d'énoncer une vérité générale sur elles, mais de déconstruire les sophismes de l'affirmation "qui soutient les Pussy Riot devrait soutenir Génération identitaire"). Et je constate d'ailleurs que les sites sympathisants de la cause identitaire avaient assez universellement soutenu la position de la justice russe cet été.

Génération identitaire a donc parfaitement conscience selon moi du caractère mensonger de cet argument qu'il présente comme de bon sens. Et c'est pourquoi personnellement je continue à désapprouver fortement les décisions de la justice russe contre les Pussy Riot, tout en souhaitant que l'action de ce week end à la mosquée de Poitiers soit sanctionnée, de manière juste et proportionnée bien entendu. Et les comparaisons indignées avec la mobilisation en faveur des Pussy Riot ne me paraissent pour la plupart que sophismes et victimisation.


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