jeudi 6 juin 2013

Petit éclaicissement à propos de mon dernier billet



Il semble que mon article "Les "catholiques modérés" face aux études de genre: tentatives de réponse à leurs objections (1)" ait suscité quelques difficultés d'interprétation, en particulier chez certains de mes lecteurs catholiques. On a ainsi pu le rapprocher de ces "philosophies" lycéennes qui tentent de démontrer par A + B, à partir d'une compréhension défaillante de Kant, Husserl, Platon, Descartes ou tel autre grand penseur, l'inexistence de la réalité matérielle. On a pu aussi juger que le recours à de longues citations de Judith Butler faisait office d'argument d'autorité, coupant court à tout dialogue, ou encore que la longueur et le caractère "technique" de mon article n'aidait pas à une compréhension simple de ce que sont les études de genre.Enfin, j'ai pu voir d'autres catholiques se plaindre de l'enlisement du débat sur le genre, et d'être pris en tenaille entre les obsédés de la théorie du genre et les "extrémistes du "tout est culturel, rien n'est biologique". Il m'a semblé que cette formulation, dont je ne sais si elle m'était destinée en particulier, pouvait refléter l'incompréhension de certains catholiques envers mon billet.

J'ai cru bon de répondre par un commentaire assez long à un statut publié sur Facebook, qui exprimait ce dernier point de vue, et qui s'appuyait entre autre sur l'exemple de la grossesse, supposée ancrer dans le biologique le rôle de la mère et celui du père.

Avant de livrer ci-dessous une version légèrement modifiée de ce commentaire, qui entend exposer, non pas une analyse de l'oeuvre de tel ou tel spécialiste, ni dire la Vérité sur la différence des sexes, mais simplement éclaicir l'état de ma compréhension d'une des parties à mon sens les plus mal comprises du débat et de ses enjeux, avec mes propres mots,  je précise que je suis très débutant dans les études de genre, plus encore dans la lecture de Judith Butler qui est par surcroit une auteure très difficile. Je suis donc parfaitement conscient qu'il est très possible, voire très probable, que ma lecture de notre rapport à la différence des sexes, que j'exprime ici et dans mon article précédent, soit remplie de contresens sur les auteurs que je cite et d'incompréhensions sur les réalités et les discours dont je rends compte. Les corrections, objections et précisions de toutes sortes sont bien sûr les bienvenues en commentaire. :-)

Que des différences de nature anatomiques existent entre hommes et femmes, je ne crois pas que la plupart des partisans des études de genre le nient. Pour autant, si l'on vit ces particularités biologiques de manière immédiate, quand il s'agit de définir ce qui est biologique par distinction avec ce qui est culturel, on rentre nécessairement, à mon sens, dans un rapport discursif, distancié au corps, qui va chercher à donner à un ensemble de sensations et d'expériences particulières, y compris très fréquentes, une signification qui les dépasse, et qui dira quelque chose non pas, par exemple, d'une femme, ou de plusieurs femmes, ou de la majorité écrasante des femmes, mais de ce qu'est la femme de manière naturelle. 

Pour reprendre l'exemple de la grossesse, certes, celle-ci est une réalité biologique indiscutable, qui existe à l'état de possibilité chez beaucoup de femmes, et chez aucun homme. Pour autant, suffit-elle à définir en nature, sur une assise biologique, la différenciation homme-femme? En premier lieu, les femmes stériles apparaissent non moins femmes que celles capables d'enfanter. Cependant, elles ont pu, dans certaines formes de sociétés, être moins bien acceptées socialement, ou éprouver de la culpabilité, car cette possibilité biologique de la grossesse est fréquemment interprétée comme la finalité de la femme: être une mère. Pas sûr qu'on soit encore dans la nature et pas déjà dans la culture. 

En second lieu, certes, la possibilité d'enfanter est une différence biologique entre l'homme et la femme, et même chez celle stérile, on trouve, de manière en partie non fonctionnelle, les organes qui permettent l'enfantement, mais pour autant, est-ce que cela fonde en nature "le rôle de la mère et celui du père"? Dans l''exemple souvent invoqué de la grossesse, qui semble vouloir apporter un argument décisif en faveur de la conception essentialiste de la différence (et de la "complémentarité") entre une "nature féminine" et d'une "nature masculine", la frontière entre donné biologique et interprétation culturelle de ce dernier parait extrêmement floue. Le sens de mon dernier billet  n'est pas de dire que rien n'est biologique et que tout est culturel, mais que les différences biologiques, certes indéniables, qui existent entre hommes et femmes, nous ne les abordons que par la médiation de la pensée et du langage. Et que cette pensée et ce langage ne sont pas l'émanation d'un rapport "pur" au réel, mais fonctionnent (tout en étant évidemment capable de prise de distance critique) sur la base de l'héritage d'une culture, et notamment d'un certain nombre de significations discursives (portées ne serait-ce que par la grammaire: la lune est-elle plus féminine que le soleil?). Et que, donc, ces différences biologiques, nous ne nous bornons pas à les décrire, mais tout en les décrivant, nous les interprétons constamment en fonction d'un référentiel qui est aussi culturel. 

D'où la difficulté d'établir des frontières claires entre ce qui dans les différence des sexes est "naturel" ou "culturel", car notre évaluation sera elle, à tous les coups, un acte culturel. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut renoncer à toute démarche descriptive des corps, ni s'enfermer dans une sorte de solipsisme linguistique niant toute possibilité d'accès au réel et à la matérialité et la densité des corps, mais plus simplement et modestement, se méfier de nos "évidences" "naturelles", souvent lourdes de présupposés et de non-dits culturels.

5 commentaires:

  1. "Le sens de mon dernier billet n'est pas de dire que rien n'est biologique et que tout est culturel, mais que les différences biologiques, certes indéniables, qui existent entre hommes et femmes, nous ne les abordons que par la médiation de la pensée et du langage. Et que cette pensée et ce langage ne sont pas l'émanation d'un rapport "pur" au réel, mais fonctionnent (tout en étant évidemment capable de prise de distance critique) sur la base de l'héritage d'une culture"

    Je réitère ce que je t'ai dit hier soir... c'est pour ça, précisément pour ça, que nous avons reçu une Révélation divine ! Et une Tradition pour l'interpréter.

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    1. J'y songeai en rédigeant.

      Il est clair que je n'ai pas vraiment abordé jusqu'ici dans mes billets sur les études de genre la manière dont je situe les questions qu'elles me posent par rapport à cette "surnature" que tu évoquais et à ma relation, en tant que catholique,à la Parole de Dieu et à l'Eglise, et c'est bien évidemment une lacune que j'entends combler dans de futurs billets.

      J'ai choisi de ne pas le faire dans ce billet pour les raisons suivantes:

      - parce qu'il est une réponse à des objections qui ne se situent ni sur le plan théologiques, ni sur le plan spirituel (même, évidemment, si elles y sont liées de manière ultime.

      - parce que je trouve préférable, avant de définir comment la révélation peut éclairer ma lecture des études de genre (ou celle des catholiques de manière plus générale), d'éclaircir ce pour quoi elles se donnent en elles-mêmes.

      - parce que je souhaite prendre le temps d'y réfléchir avant d'écrire un billet.

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    2. C'est là une question très difficile, pour laquelle je suis complètement désarmée. J'attends donc avec impatience votre prochain billet.

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  2. Tout à fait d'accord avec toi, globalement.

    « 'où la difficulté d'établir des frontières claires entre ce qui dans les différence des sexes est "naturel" ou "culturel", car notre évaluation sera elle, à tous les coups, un acte culturel. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut renoncer à toute démarche descriptive des corps, ni s'enfermer dans une sorte de solipsisme linguistique niant toute possibilité d'accès au réel et à la matérialité et la densité des corps, mais plus simplement et modestement, se méfier de nos "évidences" "naturelles", souvent lourdes de présupposés et de non-dits culturels.»

    Se pose ici également la question de notre rapport à la culture. Comment nous définissons-nous par rapport à elle ? Il y a, je trouve, chez les militants queer une véritable haine de la culture. Elle est vu comme étant à abattre finalement. Bien sûr, beaucoup d'aliénations viennnent de la culture et je pense que c'est la raison pour laquelle son influence est combattue de cette façon actuellement.
    Ce à quoi je veux en venir, c'est que bien évidemment une partie de notre «être homme» ou «être femme» (notre genre en somme) est culturel. Mais ce n'est pas pour autant un problème. Le culturel est justement ce qui nous sépare de l'animal, en fait. Il faut donc se réjouir que notre «genre» soit aussi imprégné de culture, tout en essayant d'extraire les éléments aliénants (homme au bureau, femmme au fourneau) de celle-ci.
    Ce travail d'extraction rejoint ainsi ta conclusion : il faut «se méfier de nos "évidences" "naturelles", souvent lourdes de présupposés et de non-dits culturels» mais en la nuançant : il s'agit de purifier la culture. Cela nécessite effectivement de savoir ce qui est culture et ce qui ne l'est pas.

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    1. "Il y a, je trouve, chez les militants queer une véritable haine de la culture. Elle est vu comme étant à abattre finalement. Bien sûr, beaucoup d'aliénations viennnent de la culture et je pense que c'est la raison pour laquelle son influence est combattue de cette façon actuellement."

      Pour moi, il ne s'agit pas de haine, dans la plupart des cas, mais plutôt de la dénonccer la naturalisation d'usages culturels, qui, suivant l'expression de Butler, instaure une "hégémonie" de certain types de combianisons entre sexe, genre et orientations sexuelle, au détriments d'autres, qui relègue ceux qui ressnetent en eux d'autres combianaisons, qui se sentent femme dans un corps d'homme, ou l'inverse, ou qui se sentent en rupture avec les attentes sociales qui pèse sur chaque sexe, ou qui n'ont pas l'orientation sexuelle traditionnellement associée à leur sexe biologique, au rang d'"anormaux", de monstres. Le but des LGBT (hors peut-être quelques extrémistes particulièrement politisés) n'est pas de "détruire" la culture, mais qu'elle leur reconnaisse une place. En effet, y-a-t-il du sens à présenter l'hétérosexualité comme plus "naturelle " que l'homosexualité, les trans comme moins"normaux" (j'y reviendrai dans un autre billet) que les cis? Ce que les LGBT soulignent, c'est que répondre oui les relègue au rang de malades mentaux ou de monstres. On peut comprendre, je pense, qu'ils soient donc hésitants à valider tout ce qui dans notre culture est présenté comme "naturel".

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